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6 février 2010 6 06 /02 /février /2010 21:10

 DOIT-ON ÊTRE REVOLTE ?

 

 

Introduction

 

La révolte, la révolution sont à la mode. Ne s’agit-il pas bien souvent d’un luxe de nantis ? Ne servent-elles pas à masquer une difficulté réelle d’adaptation à une modernité trop rapide qui déstabilise l’homme. Les « grandes masses populaires » ne payent-elles pas finalement la facture ? Le but de ce commentaire est d’attirer l’attention sur les risques de dénaturation de  l’esprit de révolte. De plus le mauvais usage de l’état de révolte est le symptôme d’une crise de notre société vis-à-vis de ses fins, de ses valeurs ultimes détruites par le sujet postmoderne totalement autonome et éclaté, convoqué à se réaliser de façon continue dans le sens d’une performance infinie et en produisant sans cesse du nouveau !

 

Motifs légitimes de la révolte (en vrac)

 

Ø     Finitude de la condition humaine

Ø     Présence du mal dans le monde, catastrophes naturelles

Ø     Injustice

Ø     Attitudes négatives du fait d’autrui

Ø     Attitudes négatives du fait de groupes, ou de nations

Ø     Absurdité du monde

 

Toutes ces réalités incitent ceux qui estiment détenir des solutions à vouloir changer le monde.

 

Réponses possibles pour changer le monde (en vrac)

 

Ø     Faire la révolution

Ø     Attitude de révolte

Ø     Détruire l’adversaire

Ø     Action politique

Ø     Action syndicale

Ø     Action religieuse

Ø     Convaincre

Ø     Faire table rase

Ø     Montrer l’exemple

Ø     Formation

Ø     Dialogue

Ø     Loi, règlements

Ø     Enfermer, reléguer les récalcitrants

Ø     Connaissance, savoir

Ø     Résignation, acceptation de l’argument d’autorité

 

L’attitude légitime de la révolte ne dispense pas d’une réflexion sur les moyens.

 

 Révolution/révolte – définitions (Petit Robert 2010)

 

 La révolte est une action collective, généralement accompagnée de violences, par laquelle un groupe refuse l'autorité politique existante, la règle sociale établie. On peut aussi parler de la révolte comme une attitude.

« La révolte métaphysique est le mouvement par lequel un homme se dresse contre sa condition et la création tout entière » (Camus).

 

La révolution est un changement brusque et important dans l'ordre social, moral; transformation complète.

« C'est donc une révolte, dit le roi [Louis XVI]. – Sire, répondit le duc [de Liancourt], c'est une révolution » (Taine).

 

Révolte

 

Ø     Attitude de vie appropriée à un monde changeant, voire hostile.

Ø     Monde partiellement rationnel (nécessaire), partiellement contingent. Ce monde est-il absurde pour autant ? S’il n’a pas de sens, n’est-ce pas le rôle de la révolte d’inciter l’homme à lui conférer du sens ?

Ø     L’évolution des systèmes vivants se fait par essai/validation/assimilation. D’où erreurs, écarts, crises, et réponse par la solution des problèmes ou par la révolte.

Ø     Attitude en accord avec la méthode philosophique d’étonnement, le questionnement, la méthode critique.

Ø     L’attitude de révolte prédispose à juger le présent pour viser la vérité, le bien commun.

 

 

Difficultés propres à la révolution

 

Ø     Durée insuffisante pour assurer la lente assimilation du nouveau.

Ø     Contrainte violente qui provoque une réaction de ressentiment.

Ø     Le changement brutal entraîne une désadaptation rapide. Les faibles le subissent.

Ø     Les régulations ne fonctionnent plus. Régime SDNL. Emballement, crise.

Ø     Fuite des élites vers des lieux plus sereins et plus profitables.

Ø     Montée au pouvoir de nouvelles classes, émergence d’individualités fortes avec risque d’aventurisme.

Ø     Lenteur de l’évolution des sociétés, en termes de générations. Le fossé se creuse entre les élites progressistes et le peuple. Risque d’explosion comme dans l’Iran du Chah.

Ø     Se souvenir des débats puérils à la Sorbonne et au théâtre de l’Odéon en 1968.

Ø     En 2009 une AG universitaire, avant-garde éclairée du peuple, a décidé « l’abolition du capitalisme ». Rien de moins !

 

Détournement de l’idée de révolution ou de révolte

 

Ø     Porte ouverte au ressentiment, au nihilisme, aux agitateurs.

Ø     Fascination de l’action pure (activité fébrile).

Ø     Fascination pour la cause efficiente, sans aucune réflexion sur les fins.

Ø     Rejet et destruction de ce que l’on ne parvient pas à maîtriser.

Ø     Refuge des perdants, des rêveurs, des chercheurs d’idéaux.

Ø     Refuge de ceux qui n’ont su résoudre un problème.

Ø     Refuge de ceux qui n’ont pas su convaincre ou sont inaptes au travail collectif.

Ø     Peur d’affronter le réel, refuge dans le double, dans l’imaginaire.

Ø     Besoin de voies opératives devenu fuite vers l’utopie.

Ø     Besoin de la chaleur rassurante d’un groupe : chants, manifs, AG estududiantines …

Ø     Prestige de la légende, le récit épique des vétérans, « la troisième barricade de la rue Gay-Lussac, j’y étais ! », etc.

Ø     Prestige du guérillero, du barbudo.

Ø     « l’esprit de révolte » et la tentation de la transgression : tolérance vis-à-vis du vol, de la drogue, de la pédophilie (début des années 1970), du squat, de la désobéissance « civique », etc.

Ø     L’esprit de révolte, poussé à l’excès, aveugle la raison. Son inscription corporelle se transforme en cristallisation figée, laquelle est la condition de la dérive dans n’importe quelle idéologie totalitaire.

Ø     L’esprit de révolte masque souvent l’incapacité à proposer un projet authentique centré sur les fins et non la complaisance dans l’ordre des moyens.

 

On est principalement  dans la catégorie de l’  « enfant rebelle » de l’analyse transactionnelle. Charmant à cinq ans, mais au-delà est-ce bien raisonnable ?

 

Nota : tout ce qui précède n’enlève rien à la révolte légitime, responsable et assumée.

 

Problème lié à l’ultra rationalisme

 

Pour des raisons liées à son histoire, la France des Lumières a opposé au pouvoir ecclésiastique un combat de la Raison contre la Foi ! Le scientisme a accentué cette tendance. La place attribuée à la raison, au mépris de la moindre compréhension de la logique, a convaincu les intellectuels que toute décision d’une action humaine devait découler d’un discours constitué par un enchaînement de syllogismes et d’une succession des événements soumise à une loi de causalité. De ce fait tous les rapports humains sont faussés chacun estimant détenir la vérité parce qu’il démontre. L’interlocuteur n’a plus alors qu’à convenir de l’évidence de ma démonstration et s’exécuter. Nombre d’ingénieurs commerciaux attendent des méthodes de négociation l’art de réduire l’acheteur à constater mon offre comme une certitude définitive. L’analyse sérieuse de la décision humaine montre qu’il ne s’agit pas de démontrer pour obtenir la capitulation de l’autre mais de le convaincre et obtenir son engagement. Bien au contraire, la prétention à démontrer conduit au conflit sans solution. La faiblesse abyssale de la France dans le commerce international, dans le management des équipes ou dans la gestion sociale, vient largement de cet ultra rationalisme. L’empirisme anglo-saxon, ou la pensée orientale sont largement plus efficaces que notre rationalisme arrogant qui s’oppose à toute négociation.

 

Hayek, La présomption fatale, PUF, 1993

Kamenarovic Ivan P, Le conflit; perceptions chinoise et occidentale, Cerf, 2001

Kamenarovic Ivan P, Agir, non-agir en Chine et en Occident – Du sage immobile à l'homme d'action, Cerf, 2005

 

Désadaptation par rapport à la société postmoderne

 

L’évolution industrielle ne permet plus un travail individuel, transmis de génération en génération, dans un cadre fortement hiérarchisé. Les affaires sont conduites sous forme de projets faisant intervenir les compétences complémentaires de nombreux acteurs aux responsabilités fragmentées, autonomes dans leur tâche et organisés en réseaux informels (gestion par projet). L’art de la communication et de la négociation devient alors une condition impérative. Juger l’interlocuteur dans son identité même au lieu de discuter ses propositions est une attitude suicidaire ! C’est là que le monde du travail dans notre pays se trouve complètement déphasé et ce n’est pas le bricolage désespéré à partir des dernières techniques issues du New Age californien qui arrange la situation. Leur importation sans aucun discernement a été  désastreuse. Ma pratique personnelle des projets industriels m’a montré que les « révoltés » statutaires sont majoritaires et ont souvent raison sur l’identification des difficultés (ils critiquent à peu près tout !). L’ennui c’est qu’ils ne résolvent jamais rien.

 

Nombre de gens subissant cette évolution rapide, figés dans un monde disparu, fournissent les gros bataillons des révoltés. Je suis de même convaincu que les révoltes estudiantines sont fortement motivées en fait par la peur d’un avenir devenu incertain dans un monde qui évolue trop vite. La peur de ne pas faire face.

 

La révolte devient le refuge commode qui masque la difficulté à s’adapter.

Il convient pour autant d’évaluer les changements en cours.

 

Le cercle « non vertueux »

 

Ø     Au départ une injustice évidente suscite notre révolte.

Ø     Non maîtrisée, c'est-à-dire n’aboutissant pas à la conception d’une solution réelle, l’imagination propose un idéal eschatologique (le «salut ») le plus souvent utopique (sans lieu réel). C’est plus facile !

Ø     Le ressassement fait de cet idéal une croyance, car la croyance est attente, attente de tout le possible, donc d’un idéal absolu.

Ø     L’insuffisance du questionnement et la fascination de l’idéal, fruit de l’imagination devient un double du réel, un substitut au réel.

Ø     Par cristallisation, « inscription corporelle », la croyance se mue en idéologie figée, donc en totalitarisme.

Ø     La répétition des faits d’injustice verrouillent le système.

 

La liberté n’est pas un état acquis une fois pour toutes, mais un combat permanent contre le confort du conformisme.

L’esprit humain conçoit à partir du réel, flux permanent d’événements. Cette activité correspond à une « dépense » (au sens de Georges Bataille), qui si elle n’est pas consommée produit une saturation des sens et de l’entendement, autrement dit un aveuglement par coupure d’avec la réalité. Tourner à vide sur le seul ordre des moyens ne peut satisfaire la « nature humaine ».

 

Pour le concept de double :

Clément Rosset, Le réel et son double, Gallimard, 1976

Pour les pièges des croyances :

Nicolas Grimaldi, Une démence ordinaire, PUF, 2009

Pour le décalage entre l’idéologie nouvelle et l’évolution de la société :

Arthur Koestler, Le Zéro et l’infini, Calmann-Lévy, 1945

 

Conclusion

 

Dans l’ordre des moyens et des fins de l’agir humain, l’attitude de révolte se situe au niveau des moyens, comme l’étonnement, le questionnement ou le doute méthodique. Dans une démarche éthique, les moyens sont ordonnés aux fins et les fins sont ordonnées entre elles suivant l’ordre des valeurs. La modernité a effacé l’ordre des valeurs, donc des fins, au profit des moyens, l’efficacité pure de la cause efficiente. C’est une négation de l’homme.

 

Les sciences physiques depuis le XVIIème siècle, puis les philosophies modernes du sujet autonome à partir du XVIIIème siècle, puis l’influence de la psychanalyse centrée sur les pulsions intérieures, enfin au XXème siècle l’effet de la praxis marxiste et une certaine interprétation des sciences cognitives (action = résultat d’une configuration neuronale), la finalité est rejetée au profit de la seule cause efficiente de préférence immanente au sujet. Ce réductionnisme abusif comporte des risques d’implosion des groupes humains pouvant conduire aux pires excès communautaristes, nationalistes et racistes. L’erreur est d’avoir considéré la liberté comme une valeur « universelle » et non comme une condition nécessaire à la recherche d’un bien commun.

 

La conscience réflexive permet à l’homme de s’arracher à la condition animale à condition de « transvaluer », au sens nietzschéen, cet espace biologique en espace humain. Se limiter à la complaisance dans l’état de « révolte » ne suffit pas pour accéder à la sphère de la valeur, propre de la condition humaine ». Il faut dépasser la révolte. Alors seulement, la révolte devient l’aiguillon efficace du progrès humain, mais ni le refuge ni l’alibi intellectuel des nantis.

 

Citations

 

« L'homme se désigne comme l'être qui estime des valeurs, qui apprécie et évalue, comme l'animal estimateur par excellence ? »

Nietzsche

 

« Il faut accrocher son char à une étoile. »
Citations de Charles-Augustin Sainte-Beuve

 

« Les principes, les systèmes sont des armes pour lutter contre la vie. »

J.M.G. Le Clézio

 

Lecture

 

Camus Albert, L’homme révolté, Gallimard, folio essais, n° 15, 1951

 

 

 

Jean-Claude 

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