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18 décembre 2009 5 18 /12 /décembre /2009 21:05

 TROP EST PIRE QUE PEU !

 

Introduction

 

Vue sous l’aspect éthique la proposition aboutit à une impasse, sauf à sombrer dans le dicton populaire, ou dans la « moraline » nietzschéenne.

 

Par contre le « trop » vu comme excédence de soi est une notion clef de la philosophie, particulièrement dans les philosophies de la vie : Schelling, Nietzsche, Bergson, Deleuze, Henry …

 

Par ailleurs le trop, comme excès de soi, essence de la vie, est devenu démesure chez  l’homme hypermoderne. Il convient d’en examiner les conséquences, particulièrement sur l’éclatement du sujet hypermoderne. La compréhension de la crise identitaire issue des Lumières, accentuée par l’hyper modernité des cinquante dernières années, en est l’enjeu. La survie de l’homme hypermoderne éclaté et autonome est le problème majeur de notre société !

 

L’excedence de soi

 

L’excès qui permet l’arrachement à soi est la condition de la vie dans un univers en évolution. La dépense de fortes énergies en des points de bifurcation permet l’émergence de structures nouvelles à partir des ordres sous-jacents. C’est le moteur même de toute vie en évolution. C’est le moteur de la pensée en acte et de l’individualisation.

L’avance de phase de la pensée sur le réel représenté, constitue l’ouverture de ce système qu’est tout être vivant autonome qui, s’il n’était qu’un système autorégulé fermé sur lui-même, serait condamné inéluctablement par la loi de l’entropie à se dégrader pour finalement disparaître. L’univers tout entier ne serait plus !

 

Cette « avance de phase » (en termes d’asservissement des systèmes) constitue l’arrachement à la nature qui permet à  l’être humain de se penser et d’agir (anthropologie de Jean-Jacques Rousseau reprise par Emmanuel Kant pour fonder sa philosophie moderne de la liberté). L’homme libre peut alors devenir un être de culture et pas uniquement de nature.

 

L’envers de la médaille est que cette anticipation de la pensée sur l’action implique par construction, le sentiment d’angoisse, sous toutes ses formes (mélancolie, acédie, spleen, dépression, etc.), et d’autre part le risque de l’erreur et de l’instabilité. L’aliénation hégélienne ou marxienne est du même ordre. Voir aussi le rôle de l’ « erreur » chez Nietzsche.  La liberté et la dignité humaine sont à ce prix. C’est pourquoi la crise est un mode de fonctionnement normal de tout le vivant et de toute œuvre humaine. L’évolution serait sinon impossible.

C’est la dépense (au sens de Georges Bataille), le gradient élevé d’énergie consommée, par une transformation thermodynamique et pas par une soi-disant énergie intérieure, qui autorise la transformation de l’être, voire l’émergence du nouveau. Par nouveau il faut entendre changement dans l’organisme, nouvelle espèce, apparition de la pensée, nouvel ordre (émergence de l’humain par rapport à l’animalité, voir Jean-Jacques Rousseau).

 

Par l’éthique, par la valeur (raison pratique) l’homme est capable de transvaluer en dignité son essence en devenir (notion de perfectibilité chez Jean-Jacques Rousseau et de dignité chez Emmanuel Kant). On peut alors considérer que l’aventure humaine vaut que l’on s’accommode de la finitude de l’univers et de la nature humaine.

 

C’est à une transfiguration de l’être vers des chemins de perfection qu’est appelé chaque être humain. Retour à une origine chez les Anciens, la démarche est aujourd’hui celle d’un sujet autonome vivant en société et construisant son identité.

 

L’excédence de soi chez le sujet hypermoderne

 

# La société grecque antique, à l’époque d’Homère, montre un homme plongé dans un monde absurde, livré aux caprices du destin. La seule issue est l’attitude du héros, exemple Hector.

 

# La société ancienne à partir du VIème siècle avant J-C, soit l’époque de la philosophie, a constaté une rationalité au moins partielle dans ce monde. Elle met en avant, la stabilité, la hiérarchie ontologique des êtres, la poursuite de la perfection dans son métier. Le groupe, la famille, la cité sont fondés sur l’obéissance, la fidélité, la transmission. L’individu est très lié au groupe. On a affaire plus à un individu solidaire de l’ordre cosmique qu’au sujet autonome moderne.

A partir de Descartes, l’importance attribuée à la conscience fera glisser la pensée philosophique de l’individu vers l’ego et le sujet. Les Lumières du XVIIIème siècle aboutissent au sujet libre et autonome. (Rousseau, Kant)

 

# La société moderne issue des Lumières met en avant la Raison et le Progrès.

Individu libre, autonome, capable de s’arracher à sa nature d’origine. La société devient fragmentée et pousse à l’individualisme.

 

# La société hypermoderne de la fin du XXème siècle

La recherche à tout prix de la performance amène à la compétition entre des êtres libérés de toute appartenance, vagabondant au gré de l’injonction de nouveauté. L’excédence régulée devient démesure.

 

Conséquence de cette évolution

 

On retrouve le problème philosophique récurrent lié au sentiment de mélancolie, angoisse et aliénation sous toutes leurs formes. L’écart entre la représentation présente à notre conscience et l’idéal que nous nous forgeons entraîne de facto ce malaise. De plus la crise identitaire commencée à l’époque des Lumières affecte l’individu hypermoderne plongé dans un monde flottant où toutes les idéologies rassurantes mais aussi structurantes ont été rejetées.

 

Les Anciens proposaient comme solution un retour à l’être de nature, un retour au lieu naturel de perfection de chacun. La philosophie était un exercice spirituel. La notion de conversion chez Plotin ou dans le christianisme va dans le même sens.

 

Depuis les Lumières l’individu libre est invité à réaliser son être essentiellement dans la culture. L’être est le résultat d’une histoire.

 

L’individu hypermoderne contemporain se voit convoqué à inventer son soi, son identité, dans un contexte de liberté effrénée, où seule compte la nouveauté et la performance sans fin. L’existence y a acquis une capacité d’adaptation et d’invention jamais atteinte auparavant, mais aussi une accélération vertigineuse de la temporalité.

 

Ceci correspond à un accroissement de l’excès en termes de grandeur et de vitesse. Dans les systèmes asservis c’est ainsi que l’on accroit les performances de précision et de réponse aux perturbations rapides. Mais le système devient alors sujet au risque d’instabilité. On rentre dans les systèmes dits SDNL (systèmes dynamiques non linéaires) de plus en plus difficiles à maîtriser. En termes humains, cette accélération permet une meilleure adaptabilité, une meilleure réactivité, une plus grande invention, des performances. La société y gagne en accroissement de PIB, en offre de produits de consommation. Le prix à payer est la société dépressive de la postmodernité.

 

Commentaire

 

La perfectibilité rousseauiste, possibilité humaine d’amélioration continue de son être grâce à cette capacité d’arrachement à la nature humaine, laquelle se traduit par l’écart entre la conscience et la réalité. Penser sa vie afin de vivre sa pensée, écrit André Comte-Sponville. Cet écart, cette anticipation est l’équivalent du risque d’instabilité et d’emballement pour un système automatique performant.

Depuis son origine la solution proposée par la philosophie pour guérir l’angoisse métaphysique découlant de la finitude est la sagesse. Elle permet d’articuler l’existence éphémère disponible pour réaliser son être et la nécessaire prudence (phronesis aristotélicienne) pour éviter la démesure (l’hybris) qui peut mener à l’homme à sa destruction. L’homme postmoderne soumis au culte de la performance illimitée a oublié cette sagesse et s’est laissé entraîner par la fascination d’une liberté comprise comme toute puissance, comme  règne de l’enfant-roi. Galilée, en ne conservant des quatre causes aristotéliciennes que la cause efficiente a ouvert la voie au développement prodigieux de la physique newtonienne déterministe. Ce qui s’avère justifié et efficace pour la dynamique des corps, mène à la démesure chez le vivant autonome. C’est le véhicule fou lancé à pleine allure et sans chauffeur !

 

Conclusion

 

-         Le trop est le fonctionnement courant de l’univers en évolution.

 

-         L’excédence de soi est l’essence de la vie. (excédence régulée)

 

-         La sagesse, sous forme de la prudence philosophique, de l’intériorisation de règles, d’habitudes, d’appartenances sociales, d’une identité structurante, est la condition nécessaire pour éviter qu’une accélération démesurée du processus ne se traduise par une autodestruction apocalyptique.

 

Lecture

 

Audi Paul - L'Ivresse de l'art, Le livre de poche, biblio essais n°4351, 2003

Bataille Georges - L'érotisme, Les Editions de Minuit, 1957

Gaulejac Vincent de – Qui est « Je » ?, Seuil, 2009

Jullien François – Les transformations silencieuses, Grasset, 2009

Nietzsche Friedrich - La vision dionysiaque du monde, Allia, 2004

Prygogine Illya – La fin des certitudes, Odile Jacob, 1998

Rousseau Jean-Jacques – Discours sur l’origine de l’inégalité …, 1755

 

Jean-Claude 

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