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13 janvier 2009 2 13 /01 /janvier /2009 17:36

Avons-nous une âme ?

(Débat laïc)

 

 Introduction

 

Monisme matérialiste, dualisme âme-corps ou tripartition âme-corps-esprit peuvent paraître à beaucoup de nos contemporains comme des sujets dépassés de querelles byzantines, tout au plus des restes d'une superstition populaire. Le but de l'article  est de montrer qu'il s'agit là d'un faux problème, mais qui masque un débat philosophique authentique.

Commençons par un historique de quelques paradigmes qui incluent, ou qui rejettent, ces notions de matière, corps, âme, esprit.


Quelques paradigmes autour du concept d'âme


Le paradigme antique


Les grecs ont découvert que l'univers n'est pas un chaos soumis aux caprices de forces supérieures mystérieuses, mais qu'il comporte une certaine rationalité.  L'âme est le principe d'animation du corps et intervient dans l'intelligibilité.  Le sens des réalités est à contempler dans les réalités elles-mêmes. Aussi la connaissance s'obtient par la purification de l'âme. Il s'agit pour chacun de trouver la place adéquate qui lui est attribuée dans l'ordre des choses (cosmos).

Platon distingue corps et âme  Aristote distingue corps, esprit et âme.


Le paradigme chrétien


Le christianisme revendique une alliance personnelle entre un Dieu qui se révèle et la communauté des croyants, alliance comme relation de charité. Dans la répartition tripartite (corps/âme/esprit) de saint Paul ou des pères de l'Eglise, comme dans la répartition dualiste à partir de saint Thomas d'Aquin, l'âme est le lieu de relation entre Dieu et sa créature.


Le paradigme cartésien

 

La querelle des universaux met en cause l'épistémologie réaliste des Grecs et de la scolastique ainsi que l'abus de l'argument d'autorité. La science se développe au XVII ème siècle, caractérisée par l'expérience (Nuovo Organon de Bacon) et la mathématisation du réel (Galilée), le maintien de la seule cause efficiente, l'utilisation du calcul infinitésimal pour rendre compte des mouvements dans l'espace (Newton).


Dans ce contexte de profond changement où l'homme perd sa place de centre du monde, Descartes propose une nouvelle rationalité fondée, non plus sur le concept de Nature, mais sur le cogito, le sujet pensant. La signification, l'essence des choses, n'est plus contemplée dans l'objet, mais résulte d'un processus formel qui revient à obtenir la « clarté » par une mise au point de type optique par rapport à des concepts placés par Dieu dans l'âme. Du réalisme ancien et chrétien, on est passé à l'idéalisme. L'âme est toujours le lien à Dieu.


 

 

Le paradigme kantien


Toujours relevant de l'idéalisme, le criticisme kantien place la connaissance dans un processus intellectuel de catégorisation et de schématisme effectué par l'entendement. L'âme, le monde et Dieu sont les trois Idées transcendantales de la Raison qui servent d'éléments régulateurs au fonctionnement de l'entendement. (Rôle de mise au point - équivalent de la clarté cartésienne).


Le paradigme matérialiste athée


Sous l'influence des Lumières plaçant la raison en fondement de la liberté et de la dignité humaines, et du développement de la science au XIX ème , se développe un point de vue matérialiste et athée qui entend désaliéner l'homme de toute croyance et superstition religieuse. La science entend expliquer rationnellement tout l'inconnu et le mystérieux que l'homme avait placé dans des fables religieuses. La religion du  progrès remplace la Providence.


Neurosciences et sciences cognitives


Développées en Californie, ces sciences cherchent à bénéficier de tous les progrès techniques  de l'imagerie, pour expliquer scientifiquement les soubassements biologiques des comportements humains : perception, action, décision, règles biologiques ou neuronales. Le monde intellectuel français, totalement en retard sur ce sujet, s'y est intéressé, croyant y trouver les explications rationnelles définitives propres à y pulvériser les conceptions anciennes.


Commentaire général sur ces paradigmes


Ils recherchent tous, ayant posé un jeu de principes, à décliner ces principes dans toutes leurs applications possibles, de façon à proposer une vision cohérente, globale du monde et de l'homme.

Exemple : monde organisé en un cosmos (ordre), suivant des niveaux ontologiques de plus ou moins forte valeur, connaissance par contemplation des réalités supérieures par l'âme purifiée, corps animée par l'âme.

Le sage grec va en déduire une éthique, une sociologie, une politique, etc.


On peut de même établir les paradigmes du chrétien, de l'honnête homme du XVII ème, de l'homme de raison des Lumières etc.


Dans chaque paradigme, l'âme a une définition particulière, suivant le paradigme retenu.

Cette définition variable de l'âme a un rôle important, voire primordial, dans chacun de ces paradigmes. D'où la pertinence de la question de l'âme.


Difficulté


L'erreur des « scientifiques », disons bien souvent de militants politiques s'abritant derrière la science, est d'établir des raisonnements discursifs, formels, à partir de principes qu'ils ont posé lors de l'établissement d'une axiomatique devenue dogme, puis d'oublier que ces principes n'ont jamais été démontrés et enfin de les instrumentaliser pour des combats politiques fort peu philosophiques.

Le principe de non contradiction chez Aristote, Métaphysique, livre gamma n'est pas démontré. Mais Aristote lui le sait et le dit. Or ce principe fonde toute la pensée logique de l'Occident.

On rejoint ici Hume et le problème de l'induction, Karl Popper, le perspectivisme de Nietzsche. Toutefois à partir d'un principe, même non démontré, la construction d'une logique formelle, de structures et de lois, de propriétés associées, forme sans difficulté un système cohérent applicable dans un domaine à définir par une méthode critique. On ne doit pas en conclure abusivement que l'on a un système universel et définitif.


Rejetant tout ce qui n'est pas strictement rationnel, les « scientifiques laïcs » ont eu la malencontreuse idée d'une taxonomie bien singulière : d'un côté les amis de la raison qui démontrent tout suivant les canons de la logique, d'un autre côté les crédules qui s'adonnent à la foi, la croyance, la confiance, la superstition et toute autre forme de relation irrationnelle.


L'âme n'étant pas visible au bout du microscope, la tentation a été grande d'en faire la preuve irréfutable contre la superstition. Rappelons qu'au départ il s'agissait de combattre l'absolutisme royal à travers l'Eglise. D'où le thème de la raison contre la superstition. Le bon sens aurait voulu que ce combat de la démocratie contre l'absolutisme monarchique ayant suffisamment abouti, on oublie quelque peu des arguties devenues simplistes. On aurait pu alors reprendre de façon rationnelle, scientifique et philosophique le problème de l'âme, sans le polluer par des querelles politiciennes.


Poids du passé


Difficulté supplémentaire, toute réflexion s'effectue dans un contexte culturel.

Descartes ou Kant auraient difficilement pu, à leur époque, avancer des hypothèses sur l'âme qui ne soient pas compatibles des doctrines religieuses alors en place.


De même, les athées laïques d'aujourd'hui sont encore engoncés dans un marxisme qui régnait en maître, il y a peu. Tout ce qui n'est pas matérialiste et dialectique est sacrilège !


La controverse : âme, corps, esprit


Aucune analyse scientifique, accélérateur de particule, scanner, résonance magnétique, imagerie, microscope, tomographe n'a jamais démontré quoi que ce soit concernant l'âme.


Par contre rien n'interdit de comparer les paradigmes, non pour les démontrer expérimentalement ou par une démonstration intellectuelle ou scientifique. Aujourd'hui, cela semble hors de notre portée.


Il est plus intéressant de considérer que l'on est dans des hypothèses philosophiques.

Le seul problème est :


1-      l'âme est-elle une imposture cléricale grotesque, alors on en parle plus.


2-      L'âme considérée dans un paradigme constitué de principes dont certains sont des postulats philosophique non démontrés, aboutit-elle à une vision du monde ayant une valeur reconnue du point de vue de l'éthique, la société, la cité, l'épanouissement de la personne, etc.


Toutes les distinctions opérées par la philosophie, un et multiple, permanent et changement, quatre causes, sept huit douze ou N catégories de l'entendement ou autre, sont subjectives et indémontrables. Celles qui ne portent aucun fruit sont oubliées.


Le problème de matérialisme, monisme, dualisme, tri répartition, autre, vient de la difficulté à déterminer pour chaque paradigme, ce qui est à exclure, ce qui est acceptable, ce qui est valable. Il s'agit d'un jugement de valeur et non de vérité de fait. Rappelons que la démarche des socratiques est centrée sur la justice et le bien commun, et non pas sur la démonstration de la véritable ontologie.

Quand la raison seule ne peut décider, rien n'empêche d'essayer des solutions nouvelles. C'est concernant le domaine de l'humain (sociologie, politique, psychologie, etc.) la connaissance par essai et validation de Hayek ou le « bricolage stochastique » de Nicholas Nassim Taleb.


Les paradigmes incluant la notion d'âme


Les auteurs qui traitent de la question ne cherchent pas à démontrer l'existence ou la non existence de l'âme, mais montrent pour chaque paradigme, l'apport des notions d'âme, ou d'âme et d'esprit, en terme d'ouverture sur un nouveau registre de la pensée. La découverte ne se fait pas par extension en une dimension unique, mais par émergence d'une structure plus complexe. Le concept d'âme joue t-il le rôle d'un attracteur ouvrant sur une conception de la vie et du monde ? Cette nouvelle conception a-t-elle une valeur ? Evaluer cette conception, voilà la vraie question.


Michel Fromaget, maître de conférences à l'Université de Caen montre l'avantage qu'il a trouvé dans l'application de la répartition tripartite à l'accompagnement des mourants.


Quel que soit son point de vue, les études sur la notion d'automate spirituel chez Spinoza constituent à leur lecture un enrichissement de la pensée.


En sophrologie, le docteur Abrezol propose les vertus de l'harmonie corps, mental, esprit.


Nota :

Aucun de ces auteurs ne propose une image thermique ou une radiographie X de l'âme !

L'hypothèse, l'essai, la confiance, la croyance, la foi, ne sont pas interdits quand utilisés avec discernement.

L'automate programmable, totalement rationnel, n'encourt aucun des risques inhérents à la  vie humaine. Il n'en a pas l'éminente dignité non plus.


Conclusion


Par-delà les querelles anti-cléricales, et encore quand elles ne cachent pas des disputes de pouvoir entre groupes sociaux ou politiques en mal de motivation, le problème de l'âme et du corps recèle d'authentiques visions de l'homme susceptibles de nous enrichir. Des siècles de pensée, et toute une littérature, en témoignent.


Jean-Claude

Livres

 

Fromaget Michel        Corps Âme Esprit - Introduction à l'anthropologie ternaire

Albin Michel,  Question de,   n° 87,  1991

 

Fromaget Michel        L'homme tridimensionnel - "Corps, Âme, Esprit"               

Albin Michel,  Question de, n° 106, 1996


Fromaget Michel    Naître et mourir - anthropologie spirituelle et accompagnement des mourants

François Xavier de Guibert, 2007

 

Misrahi Robert           Le corps et l'esprit dans la philosophie de Spinoza   Institut Synthélabo pour le progrès de la connaissance, Les Empêcheurs de penser en rond, 1998

 



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